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Extrait du livre : qu’apprend- on au collège ?;      Conseil  National des Programmes ; Janvier 2002.

 

 

 

La lecture des programmes pourrait être comparée à celle d’une partition : à l’évidence, elle est moins plaisante que l’audition de l’œuvre elle - même. Tout repose, une fois encore , sur le talent des professeurs qui , après avoir été consultés sur les orientations essentielles , reçoivent la mission si délicate de leur donner chair et de les faire vivre. L’ éducation , disait KANT , n’est pas une science exacte , mais un art, et sans doute le plus difficile de tous. Sans le savoir - faire et la compétence de nos enseignants , les meilleurs programmes du monde resteraient purement et simplement lettre morte. C’est sur eux que repose la responsabilité de faire apparaître aux élèves tout l’intérêts qu’il peuvent en retirer.

 

Ainsi présentée de manière formelle et abrégée, notre culture scolaire pourra paraître manquer de charme, ne pas faire suffisamment droit à la dimension  du plaisir, voir des « émotions » ; bref, elle semblera bien aride et , pour tout dire , peu « distrayante ». Disons - le clairement : ce n’est pas la finalité première. En des temps où le règne du divertissement s’étend sans cesse d’avantage à tous les aspects de la vie culturelle, il n’est peut - être pas inutile de rappeler les finalités globales de l’éducation scolaire.

 

Nous avons décidé- le texte même des lois qui régissent notre vie scolaire le dit de manière tout à fait explicite - de mettre « l’élève au centre du système ».L’éducation est d’abord et avant tout faite pour lui, il en est l’alpha et l’oméga, le premier moteur et le destinataire ultime. Cela dit , cette découverte ou plutôt cette redécouverte du « continent  enfance » peut susciter  bien des interprétations erronées et , par la mêm, quelques malentendus. Le choix de placer l’élève au cœur de nos dispositifs éducatifs ne signifie ni que l’on confonde l’éducation avec un jeu ou un divertissement , ni que l’on renonce à l’exercice d’une certaine autorité, ni que le monde des adultes doive s’incliner devant celui de la jeunesse , voire faire du « jeunisme », et renoncer aux responsabilités qui lui reviennent quand à la définition des finalités de notre enseignement . Ces trois aspects méritent quelques mots d’explication.

 

Rappelons d’abord que la naissance de nos systèmes scolaires modernes a été associée, depuis la fin du XVIII e   siècle , à la reconnaissance du bien fondé d’une pédagogie que l’on désigne généralement sous l’expression de « méthodes actives ».Pour simplifier, on pourrait dire que , dès l’origine, trois grandes conceptions de l’enseignement ont été imaginées par les philosophes des Lumières. Idéalement , la première consisterait à laisser une liberté absolue à l’enfant : c’est l ‘ éducation par le jeu qui correspondrait, selon une analogie avec la politique qu’il faudrait développer plus longuement, à une forme d’anarchie. La deuxième en est le  contraire exact :le dressage, équivalent de l’absolutisme, qui convient sans doute au animaux, mais pas à des êtres libres. Comment concilier ce que ces deux visions extrêmes , toutes deux également fausses, peuvent avoir de juste, au moins au départ, ou pour mieux dire : comment respecter la liberté de l’enfant tout en lui enseignant une discipline ? Réponse : par le travail. C’est lui qui fournit la solution de cette opposition frontale entre le jeu et le dressage. Car , en travaillant - s’il ne s’agit pas pour lui  simplement d’une contrainte imposée du dehors  - , l’enfant exerce sa liberté , mais il se heurte  néanmoins  à des obstacles réels , objectifs, qui , lorsqu’ils sont bien choisis par le maître , peuvent  se montrer  formateurs pour lui s’il parvient à les surmonter . A  l’anarchie du jeu et à l’absolutisme du dressage succède ainsi la citoyenneté du travail : le citoyen, en effet, est libre lorsqu’il vote la loi, et contraint cependant par cette même loi, dès lors qu’il l’a  approuvée - où l’on  retrouve les deux moments, liberté et discipline, activité et passivité, que le travail  réconcilie en lui.

Cette conception « républicaine » des méthodes actives, alliant le respect de l’enfant et les nécéssités d’une certaine  autorité, a continué d’animer jusqu’à nos jours ce que nos systèmes éducatifs ont assurément de meilleur. Il serait dommage d’en perdre aujourd’hui l’apport majeur, sous prétexte que le reste de la société, notamment par l’intermédiaire de la télévision, nous invite sans cesse à la consommation, au jeu et au divertissement. Il  faut maintenir haut et fort l’idée que , sans un apprentissage du travail , sans un certain goût de l’effort, aucun accès à la culture authentique n’est réellement possible. C’est sans doute dans le domaine des sciences , en raison même de leur technicité, que la chose est le plus visible , mais cela vaut en réalité pour toutes les matières ; impossible de parvenir à connaître le monde , à pratiquer un art ou un sport, mais tout autant à s’approprier les éléments fondamentaux de l’histoire , des langues ou de la littérature , sans passer par une certaine discipline du corps ou de l’esprit , une rigueur intellectuelle , un effort de réflexion et de pensée en l’absence desquels la culture scolaire est non seulement inaccessible, mais , il faut bien l’avouer, rebutante. Ce n’est qu’au delà d’un certain seuil qu’elle dévoile sa richesse et son intérêt, et c’est cela qu’il faut avoir la capacité, voir dans un premier temps ( n’ayons pas peur du mot) « l’autorité » de faire comprendre aux élèves . Leur donner à croire que tout ce qui est facile et amusant est un leurre ,ce qui ne doit nullement nous dispenser, au contraire, de tout faire pour que les contenus scolaires retenus par les rédacteurs de programmes soient les plus pertinents et , à l’usage, les plus féconds et les plus intéressants possible. C’est là une tâche difficile et indéfiniment perfectible.

 

 

Il faut avoir aussi le courage de ne pas céder aux mirages du « jeunisme » , à l’idée que l’univers culturels des jeunes serait égal, voir supérieur, à celui des adultes. Trop souvent , l’opposition entre « jeunes » et « vieux » tend à se présenter sous une forme quasi ethnologique , comme s’in s’ agissait , à la limite, de deux « tribus » étrangères , de deux monde culturels en plusieurs points étanches mais équivalents l’un à l’autre. Les « jeunes » s’enflammeraient pour telle musique, les « vieux » pour telle autre, généralement réputée plus ennuyeuse, mais , au final, tout cela  se vaudrait , chacun disposant d’une totale légitimité et d’une absolue liberté de choix dans l’espace qui est le sien.

 

Au regard de la culture scolaire, cette vision des choses est tout simplement fausse et démagogique. Lorsqu’on demande aux enfants  d’une classe de 6e de donner, par un dessin ou un simple schéma , une représentation globale de l’intérieur de leur corps, d’y retracer , par exemple, les grandes phases de la digestion ou de la circulation sanguine, les résultats sont le plus souvent amusants. Certaines inventions sont ingénieuses, d’autres touchantes, toutes significatives, sur le psychologique et symbolique, de la vision que l’enfant a de lui - même . Mais , sur le plan scientifique, elles ne se situent pas au même niveau et ne possèdent pas la même valeur que les explications données par le professeur. Et cet exemple simple vaut pour bien des disciplines ; il faut faire comprndre aux enfants, et à tous ceux qui en douteraient, que l’univers culturels des adultes est , du moins dans ce qu ‘il a de meilleur et que les programmes s ‘ efforcent d’identifier, plus vrai, plus riche, plus profond et plus intéressant que celui auquel on risque d’en rester si,comme  Petre Pan , on s’accroche à l’enfance.

 

Lorsque les élèves entrent en 6e , ils appartiennent encore, à beaucoup d’égards, au monde de l’enfance. Le collège n’est pas là pour les conforter , les maintenir, voire les enfermer , dans ce qu’ils sont .Au contraire , il doit leur permettre , par l’appropriation des savoirs et des compétences identifiés ( savoir - faire) dans ce « cahier des exigences », de devenir plus riches, plus entreprenants , plus cultivés , bref , plus autonomes. En ce sens , la finalité ultime de la culture scolaire du collège n’est de divertir : il y a bein d’autres lieux pour cela. Elle est de préparer les élèves à entrer dans l’univers des adultes, qui n’ont pas à rougir, bien au contraire, de ce qu’ils peuvent transmettre aux jeunes générations afin qu’elles s’inscrivent à leur tour dans un monde qu’elles sont appelées, elles aussi, à habiter, à enrichir et à transformer.

 

La même approche et la même lecture des programmes et  la même démarche pour faire « grandir »  peut être faite pour les élèves de lycée ( professionnel ou autre)  , qui vont passer  de la pré adolescence et l’adolescence  à l’adulte.

 

 

Extrait du livre : qu’apprend- on au collège ?;  Conseil  National des Programmes ; Janvier 2002.