conception de l'intelligence DE L’école au lycée

 

 

UNE CONCEPTION DYNAMIQUE DE L ‘ INTELLIGENCE

 

 

 

 

 

 

La présente synthèse de l’article de Marie-Françoise Legendre-Bergeron (Professeur à l’Université de Montréal) a pour but d’exposer la conception piagétienne de l’intelligence telle quelle nous apparaît aujourd’hui, enrichie de l’apport de certains travaux en psychologie cognitive et en intelligence artificielle. Cette conception ne se réduit pas aux notions les plus connues de « stades de développement » et de « structures opératoires de l’intelligence ». Elle intègre aussi une vision des mécanismes par lesquels l’intelligence se développe. Cette vision conduit à établir d’étroites relations entre le développement de l’intelligence et l’acquisition de connaissances dans divers domaines du savoir.

 

1. Qu ‘est-ce que  l’intelligence ?

 

Piaget nous propose une conception dynamique de l’intelligence. Selon lui, l’intelligence n’est pas une faculté, mais un processus en perpétuel devenir. Elle est constituée d’un ensemble d’outils de connaissance qui s’acquièrent par nos multiples interactions avec le milieu s ce sont les structures opératoires de l’intelligence. Ces structures, d’abord sensori-motrices (intelligence pratique), puis représentatives (pensée intuitive ou prélogique, pensée opératoire concrète, puis opératoire formelle), se construisent progressivement en un certain nombre de stades de développement.

 

La notion de stade de développement indique que le développement de l’intelligence est ordonné, même si le rythme peut varier d’un individu à un autre. Ainsi, l’enfant commence par développer une intelligence pratique, liée à ses actions sur les objets, avant de développer son intelligence représentative. De la même façon, il faut d’abord qu’il ait acquis les structures propres a la pensée opératoire concrète pour être en mesure de construire les structures opératoires formelles Chacune de ces constructions nouvelles s’appuie sur les structures antérieures et les modifie on retour en les intégrant à des structures plus larges et plus riches.

L’acquisition des structures opératoires nous donne accès à des connaissances de plus en plus complexes et variées.

 

Les notions piagétiennes de stades de développement et de structures opératoires ce l’intelligence laissent entendre que l’apprentissage est subordonné au développement de l’intelligence, c’est-à-dire à la construction progressive de certains « outils de raisonnement »Autrement dit, on n’apprend pas n’importe quoi, à n’importe qui, à n’importe quel moment.

 

Une même notion peut être comprise différemment selon le niveau de développement de l’enfant. C’est pourquoi il apparaît important de tenir compte du niveau opératoire de l’enfant dans le choix des objectifs d’apprentissage ainsi que dans la façon de transmettre les contenus de l’enseignement.

 

2. Est-il pertinent d’utiliser les « épreuves » piagiétiennes pour évaluer le niveau de développement de l’intelligence?

 

Si l’on peut aisément inférer qu’un enfant ayant réussi sans difficulté des tâches de type opératoire concret possède certains outils logico-mathématiques, la réciproque est-elle vraie?

 

 

Les tâches piagétiennes peuvent nous donner de précieuses indications sur la façon dont raisonne un élève, dans un certain contexte, mais elles présentent aussi des limites. L’élève qui échoue à adopter la conduite caractéristique d’un stade peut ne pas encore avoir construit certains schèmes. Mais il peut également être en train de les construire dans un domaine privilégié sans pour autant les généraliser à l’ensemble des autres domaines. Enfin, il se peut qu’il possède ces outils sans toutefois les utiliser dans une situation donnée par manque de connaissances préalables ou de familiarité avec la tâche. Ce n’est donc pas parce qu’un individu est capable de raisonner à un niveau opératoire concret ou opératoire formel qu’il est en mesure d’accomplir toutes les tâches sur ce plan.

 

Un autre problème inhérent à toute forme de « mesure » de l’intelligence ou de son niveau de développement est de déterminer jusqu’à quel point nous évaluons l’intelligence d’un individu et non ses connaissances particulières dans un domaine. Un autre aspect central de la théorie de Piaget. le modèle de l’équilibration, laisse supposer que le développement de l’intelligence est étroitement lié àl’acquisition de connaissances nouvelles.

 

3. Comment se développe l’intelligence?

 

Le modèle de l’équilibration de Piaget se réfère aux mécanismes en jeu dans la formation de connaissances nouvelles à partir des connaissances antérieures et de leurs interactions adoptives avec le milieu.

 

Ces connaissances sont de deux types s logico-mathématiques et physiques ou empiriques.

 

Les premières ont trait aux outils de la connaissance (structures logico-mathématiques) et les secondes, aux contenus acquis à l’aide de ces outils. Les mécanismes d’équilibration correspondent àla dynamique interactive qui sous-tend la formation solidaire de ces deux types de connaissances qui sont liés. Ces mécanismes consistent à passer d’un niveau de connaissance ou de compréhension àun autre plus élevé en surmontant les déséquilibres engendrés par l’utilisation plus ou motni~ appropriée de nos schèmes et de nos connaissances préalables En d’autres termes, c’est par son effort pour assimiler de nouvelles connaissances que l’intelligence se développe et, réciproquement. c’est parce que l’intelligence se développe qu’elle permet l’acquisition de connaissances qui n’étaient pas accessibles à des étapes antérieures. Il y a donc complémentarité entre l’acquisition de nouveaux outils de raisonnement et l’apprentissage de nouvelles connaissances. Les interactions avec le milieu jouent un rôle fondamental. L’expérience modifie la structure de nos connaissances et cette dernière affecte en retour la nature de nos expériences. Par ailleurs, la notion de déséquilibre suggère que les multiples « erreurs » que nous commettons, dans nos efforts pour assimiler de nouvelles connaissances, ne sont pas simplement l’indice d’un manque de compréhension. Elles représentent un puissant mécanisme d’apprentissage. Il y a souvent des conflits entre ce que l’élève sait et les connaissances que l’on tente de lui faire acquérir.

 

Développer son intelligence, c’est donc trouver des stratégies efficaces pour surmonter ces déséquilibres, c’est-à-dire concilier les connaissances nouvelles avec les connaissances antérieures

 

Piaget a sans cesse insisté sur le caractère non additionnel des connaissances. Acquérir de nouvelles connaissances, ce n’est pas simplement ajouter de nouvelles informations à d’autres que l’on possède déjà, c’est aussi les organiser dans sa tète, de façon qu’elles soient aisément accessibles lorsqu’on en a besoin. C’est pourquoi on ne saurait dissocier le développement de l’intelligence de l’acquisition de connaissances. En cherchant à accroître ses connaissances, on est amené à réorganiser sa pensée.

 

4. Quels sont les liens entre intelligence et compétence?

 

Il va de soi que la capacité d’acquérir des compétences, dans divers domaines du savoir suppose l’intelligence. Néanmoins, on peut être intelligent sans nécessairement être compétent dans tous les domaines. Combien d’entre nous possèdent des connaissances partielles, intuitives et lacunaires dans différents domaines ? Sommes-nous moins intelligents pour autant?

 

Les sujets « experts » diffèrent des sujets « novices » non seulement sur le plan des connaissances qu’ils possèdent, mais également sur celui des processus de raisonnement qu ‘ils utilisent. Leurs façons d’aborder les problèmes et de les résoudre sont différentes parce qu’elles reposent sur des représentations différentes. Ces représentations dépendent à la fois des connaissances qu’ils ont acquises et de la façon dont elles sont organisées dans leur mémoire.

 

Les habiletés de pensée seraient donc étroitement liées aux connaissances particulières auxquelles elles s’appliquent.

Cette vision de l’intelligence conduit à dépasser la dichotomie entre intelligence et connaissances. Développer son intelligence par de multiples apprentissages, ce n’est pas seulement acquérir beaucoup de connaissances, c’est aussi apprendre à les organiser, sans quoi il est très difficile de les évoquer lorsqu’on en a besoin. Or, pour bien les organiser, il faut apprendre à bien les gérer, à établir entre elles de nombreuses relations de façon à pouvoir y accéder par différents chemins. Cela nécessite que nous acquérions non seulement des connaissances, mais des connaissances sur nos connaissances et sur diverses façons efficaces de les utiliser. Cette gestion de nos ressources cognitives est étroitement liée à ce que plusieurs auteurs appellent a métacognition, c’est-à-dire non pas simplement la connaissance de quelque chose, mais la compréhension de cette connaissance. Pour devenir compétent dans un domaine particulier, nous devons acquérir un bon nombre de connaissances liées à ce domaine et également l’habileté à les exploiter dans de multiples contextes.

 

5. Peut-on être plus ou moins habile à apprendre?

 

Mais d’abord, qu’est-ce que l’habileté à apprendre

L’habileté à apprendre semble étroitement liée à l’habileté à organiser nos connaissances àcréer des liens entre des données nouvelles et d’autres que nous possédons déjà en mémoire. Celui qui apprend « efficacement » ne se contente pas de mémoriser un grand nombre de faits ou de procédés rigides. Il crée des liens, il réorganise ses compétences préalables de manière à pouvoir les utiliser plus efficacement.

 

On peut apprendre à mémoriser beaucoup de choses sans pour autant acquérir les habiletés d’apprentissage. Certains élèves semblent avoir suffisamment mémorisé ce qu’on leur a enseigné pour être capables de répondre aux questions d’un examen, mais ils n’utilisent pas cette connaissance dans d’autres contextes. D’autres élèves paraissent plus habiles à faire cette transposition, c’est-à-dire à abstraire une connaissance de son contexte de formation pour l’utiliser dans un nouveau contexte ou encore d’une façon différente. De même que l’on peut apprendre quelque chose que l’on ne savait pas, on peut apprendre à apprendre. Cette habileté à apprendre s’acquiert par une diversité d’apprentissages. On peut amener un élève à tirer davantage profit de ses expériences d’apprentissage en l’aidant à mieux organiser ses connaissances et en l’incitant àutiliser ce qu’il sait dans des contextes diversifiés.

Informations Pédagogiques n0 33 - Mars 1997 33

Lu pour vous

 

 

 

6. Dans  qu’ eIle mesure pouvons-nous aider l’enfant à acquérir de meilleures méthodes d’apprentissage?

 

Lorsque nous acquérons des compétences, nous ne nous contentons pas d’accumuler de nouvelles données, nous apprenons à les utiliser. Cette utilisation se révèle parfois plus ou moins appropriée et elle amène des erreurs. Or, celles-ci peuvent être très utiles, car elles nous donnent une rétroaction sur les conditions d’application ou d’utilisation d’une connaissance. En cherchant trop à éviter les erreurs, ou en encourageant chez l’enfant une perception négative de l’erreur. nous pouvons gêner ce processus d’expérimentation active qui consiste à mettre à l’épreuve ce que nous venons d’apprendre et à découvrir diverses façons d’utiliser ce que nous savons. Aider l’élève à acquérir des habiletés d’apprentissage, c’est lui donner l’occasion de faire des erreurs, d’en prendre conscience et d’essayer de trouver des stratégies pour les corriger. C’est en utilisant ce qu’il sait de multiples façons et dans différents contextes qu’il apprendra à gérer plus efficacement ses connaissances.

 

Un milieu d’apprentissage sera d’autant plus efficace qu’il aidera l’esprit à exploiter ce qu’il sait à rectifier ses connaissances en les comparant avec d’autres points de vue. L’enseignement ne doit donc pas se centrer exclusivement sur les contenus à enseigner, mais se soucier de faire acquérir des habiletés à utiliser ces connaissances.

 

Conclusion

 

L’intelligence n’est pas une faculté, mais un ensemble d’outils que nous utilisons pour acquerir de nouvelles connaissances. Or, ces outils s’acquièrent par nos multiples apprentissages. En effet plus nous apprenons, plus nous devenons habiles à apprendre. Cela suppose toutefois que l’apprentissage ne se résume pas à accumuler des connaissances, mais à les organiser et à créer des processus permettant de gérer leur utilisation. C’est ce que nous appelons acquérir une compétence L’acquisition d’une compétence est un processus long et difficile qui ne peut se faire que par étapes A ces étapes sont généralement liés des obstacles qui peuvent être plus ou moins faciles à surmonter. Si nous voulons aider l’élève à développer son intelligence, nous devons être conscients de ces étapes, des difficultés qui peuvent y être associées et de la façon dont on peut intervenir pour faciliter le passage d’un niveau de compétence à un autre plus élevé. Ne convient-il pas. plutôt que de chercher à mesurer l’intelligence d’un élève, d’évaluer son niveau de compétence dans un domaine et de centrer nos interventions non pas simplement sur l’acquisition de connaissances nouvelles, mais sur l’organisation efficace de ces connaissances et sur l’acquisition d’habiletés liées a leur utilisation appropriée.

 

 

Article paru dans : Informations Pédagogiques n0 33 - Mars 1997

 

Lire : « J’apprends  donc je suis », Hélène Trocmé - Fabre.  Les organisations D’ ORGANISATION - 1987   ( introduction à la neuropédagogie)

 

Pierre GOGUELIN :  La formation animation ; une vocation  Editeur ?